J’allaite encore et alors ? : petit guide de survie de l’allaitement non écourté

Vous aviez beaucoup aimé le petit guide de survie des fêtes de famille (à retrouver ici), je vous propose un nouveau petit guide de survie, cette fois-ci focus allaitement non écourté !

Alors comme d’habitude, on s’arme de son plus beau second degré et on vient rire un coup parce que comme j’aime à le dire mieux vaut en rire qu’en pleurer !

Faut pas se leurrer, celles qui se prennent le plus de remarques intrusives, désobligeantes, de jugements, de regards en biais, ce ne sont pas les allaitantes de bébés, ni les biberonnantes d’ailleurs. Non, les allaitantes de bébés jouissent d’une aura d’admiration jusqu’à 4 à 6 mois, âge à partir duquel les biberonnantes prennent le relais et endossent à leur tour la couronne de la « bonne mère ». Celles qui se sentent le plus ovnis, sont celles qui font partie de la rare population d’allaitantes de bambins.

Mais avant toute chose, un bambin c’est quoi ?

Et là, c’est assez difficile de répondre car normalement un bambin se définirait comme un enfant qui MARCHE, qui PARLE, qui A DES DENTS, qui mange un GÂTEAU (avant de l’arroser avec une petite lichette de lait). Mais en France, un enfant allaité devient un bambin dès qu’il est arrivé à la date de péremption de l’allaitement exclusif telle que l’indiquent Guigoz et Nestlé, soit l’âge de 6 mois.

Donc pour les besoins de notre histoire, le terme « bambin » englobera les enfants de 6 mois à 7 ans environ (âge max du sevrage naturel).

Alors reprenons au commencement.

Situation n°1 : bébé naît ou va naître et j’ai fais le choix de ne pas l’allaiter. Sans entrer dans le débat du pourquoi de ce choix, je vais ou je ne vais pas vivre dans la culpabilité pendant quelques mois. En tous cas, je serais dans une zone de disgrâce du titre de « bonne mère » aux yeux de certains pendant un temps.

Situation n°2 : bébé naît ou va naître et j’ai vais l’allaiter. Je choisis la voix du respect immédiat et j’endosse le titre de « bonne mère » d’emblée. Mais, attention, le prestige est de courte durée !

Bébé a 6 mois. Bébé devient, comme nous l’avons défini plus haut, bambin. 

Situation n°1 : finie la disgrâce ! A moi le titre de « bonne mère » ! Je suis la norme de la société dans laquelle j’évolue. Je ne me pose plus de questions, sans avoir jamais été un ovni, le sentiment de culpabilité qui aurait pu m’habiter, me quitte et Avent, mon bébé et moi voguons ensemble vers de nouvelles aventures.

Situation n°2 : la mère allaitante entre alors dans une période transitoire caractérisée par des commentaires, avis et questions de toutes parts. Pendant quelques mois, son quotidien sera rempli de « tu comptes allaiter encore longtemps ? », « tu l’allaites ENCORE ? », « il mange de la vraie nourriture quand même rassure-moi ? », « tu sais tu ne va pas l’allaiter jusqu’à son bac » et j’en passe.

La période transitoire est caractérisée par beaucoup de questions, de curiosité de la part des interlocuteurs mais, à quelques exceptions près, bien qu’elle ne soit pas une période remplie de bienveillance comme peuvent l’être les premiers mois, elle n’est pas non plus une période où règne la malveillance.

Nous continuerons donc notre histoire avec la mère de la situation n°2 qui continue d’allaiter son enfant. Elle s’appelle Marie, comme la Vierge, sauf qu’elle, ce n’est pas une sainte, elle allaite un bambin voyez-vous et cela fait d’elle une personne louche. Son bambin sera pour les besoins du récit un garçon nommé Jean, comme l’un des apôtres. Et restons dans le thème biblique tant qu’à faire, son compagnon s’appellera Joseph (quelle originalité !!!).

Jean a 10 mois. Après avoir essuyé et survécu aux questions de la période transitoire, Marie et Joseph ont tout de même pris la décision de poursuivre cet allaitement qui leur tient tant à cœur. Ils se sont beaucoup documentés, ont beaucoup échangé avec des parents ayant le même cheminement et avancent sûrs d’eux vers un sevrage le plus tardif possible, peut être même un sevrage naturel qui sait !

Marie emmène Jean à la visite des 12 mois chez le pédiatre. Il va pour lui administrer le vaccin ROR et s’étonne que Marie ne lui ai pas collé des patchs anti-douleurs sur les cuissots. Marie répond qu’elle ne pensait pas que cela serait nécessaire puisque ce même pédiatre lui disait jusqu’alors que bébé étant allaité, la tétée ferait son effet antalgique. Ce à quoi le pédiatre lui répond que oui, bien sûr mais plus à 12 mois, maintenant l’allaitement, il faut arrêter ! Marie est désemparée. L’allaitement après 12 mois n’aurait plus les mêmes effets ?

Elle rentre paniquée à la maison. Le soir venu, elle raconte le déroulement du RDV à Joseph qui bondit et s’indigne de la réaction du pédiatre. Ils font quelques recherches et voilà ce qu’ils trouvent :

L’Académie Américaine de Pédiatrie recommande un allaitement de 12 mois et plus. L’OMS et l’UNICEF recommandent un allaitement de 2 ans et plus. Or, une étude récente menée auprès des pédiatres a constaté que seulement 37 % d’entre eux recommandaient d’allaiter jusqu’à 1 an. Dans une autre étude, 25 % des médecins décourageaient activement l’allaitement au-delà de 2 ans, et estimaient que c’était à la mère de décider du moment du sevrage. La plupart des pédiatres laissent donc leurs conceptions purement culturelles interférer avec les recommandations objectives des services de santé.

Ouf ! Ils sont rassurés. La prochaine fois, Marie lui fera bouffer son stéthoscope s’il ose la faire douter à nouveau du bien-fondé de son allaitement.

Jean a 13 mois, il marche bien maintenant et pendant le weekend, ils l’emmènent au parc proche de la maison. Il fait beau, ils prennent le goûter au parc, font du toboggan, de la balançoire. Jean court après le ballon avec un autre garçon (de vrais mecs ces deux là !). Puis Jean tombe et se fait mal. Il demande à téter. Marie hésite. Mince, on est quand même au parc, entourés de plein de parents. Même quand Jean avait 3 mois, elle n’a jamais vu une seule maman allaiter au parc alors que vont-ils tous penser si elle allaite Jean, 13 mois, en public…Elle angoisse, essaie de différer la tétée. Mais Jean en a besoin. Maintenant. Joseph la rassure et lui dit que les autres n’ont qu’à regarder, Jean en a besoin. Elle s’assied et essaie de faire ça discrètement. Et effectivement personne ne remarque rien. Jean se réconforte, tout le monde s’apaise jusqu’au moment où une petite fille s’approche de sa maman à un mètre d’eux et lui demande « qu’est ce qu’il fait le garçon là ? » en pointant Jean du doigt. Et sa mère de répondre « il tète sa mère, ne regarde pas, ce n’est pas normal, c’est un grand garçon » et de lancer à Marie « vous pourriez vous couvrir quand même ou rentrer le nourrir chez vous ! »

Stupéfaction. Marie reste bouche bée et hésite entre :

  1. Lui foutre un jet de lait à la gueule. Manque de bol elle n’a pas un REF (réflexe d’éjection fort) et la mère étant trop loin, ça n’aurait pas eu l’effet escompté.
  2. Se lever et expliquer à cette mère et à sa fille les bases de l’allaitement : que  c’est le meilleur aliment qui soit, quel que soit l’âge de l’enfant, que celui-ci est recommandé jusqu’à au moins 2 ans et que le sevrage naturel intervient entre 2,5 et 7 ans, que personne ne devrait se couvrir pour nourrir son enfant et que si ça la gêne tant, elle n’a qu’à détourner la tête.
  3. Répliquer en expliquant à son fils que cette dame dit des bêtises et qu’il est tout à fait normal.

Marie opte pour la 3e solution et ils rentrent du parc avec un poids sur le cœur. Marie ne comprend pas comment on peut être aussi dur avec les enfants…

Jean grandit bien, il explose sa courbe de croissance (l’entourage commence d’ailleurs à dire que c’est A CAUSE de l’allaitement. Tout comme, lorsqu’il était dans la tranche basse de sa courbe les premiers mois, c’était A CAUSE de l’allaitement également) et du haut de ses 18 mois commence doucement à parler. C’est Noël et Marie appréhende beaucoup les fêtes en famille pour diverses raisons dont le sujet de toutes les attentions : l’allaitement non écourté de Jean qui déchaîne les passions à chaque réunion familiale.

Pour les fêtes, cette année, ils descendent dans le sud chez les parents de Joseph. Belle-maman n’a pas vu Jean depuis de longs mois déjà et elle n’a qu’une hâte : qu’il vienne dormir chez Nanou !! Ils arrivent pour le déjeuner, tous les cousins sont là, avec leurs enfants, un chouette moment ! Après le repas, Jean souhaite téter et s’approche gaiement de la table en criant « Mamaaaan, tétéeeee ». Marie s’excuse et quitte la table pour allaiter tranquillement dans le canapé du salon. Sa cousine Julie la suit et pendant que Jean démarre sa tétée, elle lui demande curieusement mais sans arrière pensée « Tu as encore du lait à 18 mois ? ». Marie ne lui en veut pas, Julie n’a pas d’enfants et est légitime à poser ce genre de question. Elle lui explique que l’allaitement fonctionne sur un principe d’offre et de demande et que tant qu’il y a de la demande, il y a de l’offre. Elle lui explique également que la quantité de lait ne diminue pas avec l’âge de l’enfant. Et à cet instant, elle se fait couper la parole par Sarah, la femme de son cousin Paul, qui s’est incrustée dans la conversation. Elle, qui a allaité religieusement chacun de ses 4 enfants pendant pile 3 mois, pas un jour de plus, car c’est ce que lui a ordonné son sacro-saint pédiatre, lui lance un « OK mais là nutritionnellement parlant, tu ne lui apporte plus rien. Pour lui, tu es une tétine, un doudou, c’est tout. Il doit boire du vrai lait. »

Marie a deux options :

  1. Expliquer à Sarah que le lait maternel évolue avec l’enfant et que les apports de celui-ci s’adaptent en permanence aux besoins de l’enfant; que le lait, même à 7 ans, aura toujours un intérêt nutritionnel et immunitaire.
  2. Etre méchante et lui rétorquer que c’est vrai que donner de la poudre de lait de vache modifiée en laboratoire à risque de salmonelle c’est certainement meilleur.

Mais Marie n’est pas méchante et opte pour la première explication. Et au lieu de prendre l’information, Sarah lui rétorque en beuglant « Tu comptes quand même pas l’allaiter jusqu’à ses 7 ans rassure-moi ?? En plus, c’est un garçon, tu vas en faire un homosexuel… ».

OK, la gentillesse, ça ne paie finalement pas. Marie croit rêver…! Un homosexuel ? Quel rapport ? Elle ne comprend pas cette animosité…pourquoi son enfant devrait-il se sevrer du sein, quand la grande majorité des enfants de son âge ne sont pas encore sevrés de leurs biberons/tétines/doudous ? Est-ce qu’elle va, elle, dire aux parents de ces enfants qu’il serait temps d’arrêter ?

C’est l’heure du coucher. Jean, 18 mois s’endort toujours au sein. Marie monte le coucher. Lorsqu’elle a fini, elle redescend et cette fois-ci c’est sa belle-mère qui s’y met « Tu sais, il ne devrait plus téter la nuit, il va avoir des caries ». Ah bah voilà, on la lui avait pas encore faite celle-là ! Le mythe de la carie de lait maternel !

Encore une fois, Marie est tiraillée entre son envie irrépressible de lui faire avaler sa langue et sa gentillesse sans limites qui la conduirait à lui expliquer que tout d’abord, le lait maternel n’abaisse pas de façon significative le pH à l’intérieur de la bouche, contrairement à presque tous les laits industriels. Or, la bactérie qu’on estime la principale responsable des caries, le Streptocoque mutans (S. mutans), se développe particulièrement bien à un pH bas. Puis, la plupart des laits industriels sont sujets à la prolifération bactérienne, contrairement au lait de femme qui renferme des facteurs anti-bactériens. C’est donc la stagnation du lait dans la bouche qui occasionne les caries, ce qui est le cas avec le biberon mais non avec l’allaitement. Par ailleurs, la qualité des dents est également grandement liée au facteur génétique qui n’a plus rien à voir avec le lait maternel ou le lait en poudre.

Devant passer encore une journée complète avec belle-maman, elle opte pour la seconde option et lui explique en douceur que ce n’est pas scientifiquement prouvé son histoire de caries, la science prouvant même le contraire ! Mais belle-maman a visiblement décidé de s’acharner et enchaîne « oui enfin bon, quand bien même ! L’endormir au sein est néfaste sur plein d’autres aspects. Tu en fais un enfant dépendant. Il n’a plus besoin de téter, c’est TON plaisir égotiste. »

Que répondre à cela ?

Que répondre à toutes ces personnes qui pensent que les mères n’allaitent que pour leur propre plaisir ?

Que répondre à tous ces adultes qui finalement ne parviennent à entrevoir que le besoin de l’adulte et placent ce besoin au centre de leurs attentions ? Car si l’on s’éloigne un peu, que l’on prend un peu de recul et que l’on place les besoins de l’enfant au centre, alors on se rend vite compte que l’allaitement est une réponse à un besoin de l’enfant et jamais à celui de l’adulte. Et un enfant de 2 ans a encore un intense besoin de succion, de lait maternel et de proximité physique.

Lorsque l’on allaite, cette affirmation nous apparaît donc tellement absurde. ABSURDE. Il n’y a pas d’autre terme.

Il s’agit là d’une méconnaissance totale du fonctionnement de l’allaitement d’un bambin. La mère de l’enfant lui présenterait une partie érogène de son corps. Cela revient à bien mal connaître les femmes et à nier leur capacité de vivre leur corps dans toute la richesse de ce qu’il propose. On ne peut forcer un bambin à téter ! Ceci est une réalité trop souvent oubliée. 

Et puis finalement, c’est la personne de laquelle émanent ce genre de remarques qui devrait se questionner sur sa santé psychique et son équilibre mental !

Malheureusement, avec le temps, Marie s’entendra dire d’autres absurdités mais aussi d’autres horreurs telles que des insinuations d’inceste, de perversion, et de détournement d’objet premier de sa poitrine qui devrait rapidement retrouver son rôle de jouets du père.

Le temps passe et Jean a justement 2 ans ! Marie et Joseph sont fiers de voir la case « allaitement » toujours cochée dans le carnet de santé. Jean est grand, c’est un enfant enjoué, curieux, très indépendant. Ils regardent en arrière et se félicitent du chemin parcouru, malgré les embûches, malgré les critiques, malgré le manque de soutien de l’entourage. Ils sont une belle équipe et c’est tout ce qui compte.

Pourtant, ce qui devait être une belle aventure intime et familiale s’est transformé en un chemin où ont régné les justifications, la crainte de choquer, le sentiment d’être différents. Au lieu d’encourager cette femme dans le chemin qu’elle a choisi, notre société perçoit en elle, au choix, une mère engagée dans un combat militant ou une femme submergée par son obsession maternante et le bambin, comme un être manipulateur abusant de sa mère.

Que l’on ait choisi de ne pas allaiter, que l’on ait choisi d’écourter son allaitement, que l’on n’allaite pas car n’étant pas concerné, qui sommes-nous pour venir questionner et insulter les choix d’autrui ?

Arrêtons de demander aux mères jusqu’à quel âge elles comptent allaiter leurs enfants ! Ça ne regarde personne d’autre que la famille concernée. Et finalement, cela ne fait que pointer du doigt une situation normale en la faisant passer pour anormale. Cessons de projeter sur les autres notre vision de la vie.

Pour finir cet article, une petite phrase d’Agnès Vigouroux (dont vous pouvez retrouver le résumé de lecture ici) :

Allaiter, c’est donner une nourriture liquide, psychique et affective.

 Et c’est tout ce qui compte ! Belle aventure lactée à vous ! 

Sources :

4 commentaires sur “J’allaite encore et alors ? : petit guide de survie de l’allaitement non écourté

  1. Quel beau texte!
    Et comme tu le dis quoi que l on fasse c est notre choix. Mais le regard des autres est pesant. Je fais partie des 5% de femme qui n’en pas de prolactine, donc je n’ai pas pu allaiter. Je n’avais pas envie de me justifier au près de n importe qui mais j’ai eu plusieurs fois des remarques parce que je donnais le biberon. Personne ne connaît mon histoire, on juge sans savoir!

    Bonne suite
    Cordialement

    Annick

    J’aime

  2. Quel magnifique article!!!
    J’allaite toujours mon fils de 20 mois et je me suis tellement reconnue dedans!
    J’appréhende déjà les vacances d’été chez ma belle famille.

    J’aime

  3. Merci pour cet article, très bien écrit !! Je me suis reconnue dans de nombreux aspects. J’allaite mon fils de presque 3 ans, avec une envie de changement maintenant… Je suis prête de mon côté à arrêter, mais pas le bambin !!
    Les vacances de Noël se sont passées à peu près comme celles décrites dans l’article !!
    A ce stade, j’essaie un sevrage naturel pour la nuit (comprendre : un sevrage qui passe par une attitude persuasive, j’explique tous les soirs que maman a besoin de dormir et qu’elle sera très fâchée si tu te réveilles pour têter… mais cela ne marche pas très bien. Ceci dit, je ne tente pas le sevrage forcé car je pense que je ne vais pas tenir, le petit bambin ayant une très forte capacité d’obtenir les choses demandées.)
    Et la journée, j’ai réduit les occasions : pas dans un espace public, pas dans le bus, pas dans un restaurant… seulement à la maison ou dans la voiture.
    Pour mes aînés, le sevrage avait été beaucoup plus simple, presque naturel, à 18 et 23 mois. Le petit dernier est plus costaud !

    J’aime

  4. Merci pour ce bel article sur lequel je suis tombée suite à une recherche Google sur l’allaitement non écourté car malheureusement oui je suis à court d’arguments pour défendre mon choix face à la pression sociale (familiale, collègues et médecin oui!) C’est triste, on se sent tellement seule…

    J’aime

Laisser un commentaire