Pour certains, l’arrivée future d’un enfant est synonyme de grand bonheur, pour d’autres de grande angoisse. Quoiqu’il en soit, elle ne laisse personne de marbre et entraîne inévitablement un chamboulement irréversible de la vie des parents.
On dit que la naissance vous fait oublier les temps antérieurs; on dit que mettre au jour, c’est mettre à jour, comme un carnet qu’on fait débuter à blanc en lui arrachant des pages.
André Pieyre de Mandiargues
L’arrivée d’un enfant c’est exactement cela. En tout cas, pour moi, il y a eu sa naissance, et ma renaissance. Et cette renaissance ne s’est pas fait dans la douceur. Elle a commencé par beaucoup de colère.
Quitte à avoir un blog autant se laisser un espace spécial, qui n’a pas pour but de donner son avis sur un article, proposer de l’aide ou débattre, mais simplement de s’exprimer.
J’ai toujours pensé que les personnes qui décrivaient la naissance de leur enfant comme un bouleversement complet de leur vie faisaient preuve d’exagération et surjouaient amplement l’importance à conférer à un tel événement. Je n’ai jamais douté du fait que la vie changeait à l’arrivée d’un enfant mais j’imaginais plus un changement lié au mode de vie plutôt qu’à un changement profond de nos êtres. Ma mère m’a également toujours répété, à diverses occasions, tu verras lorsque tu auras tes propres enfants…
Puis tu es née et j’ai vu.
La grossesse ne m’a pas tant chamboulée. J’ai eu une grossesse facile et agréable. J’étais belle enceinte et je me suis sentie bien jusqu’au dernier jour. L’accouchement s’est bien passé et j’en garde un super souvenir. J’ai savouré chaque moment de ce dernier moment d’intimité exclusive avec ton père.
Puis tu es née et je t’ai aimée.
Vivre la naissance d’un enfant est notre chance la plus accessible de saisir le sens du mot miracle.
Paul Carvel
Tu es née et je t’ai aimée tout de suite. Il nous a fallu quelques secondes pour nous apprivoiser. Toi, mon petit pois, tu étais posée sur moi, mon sein en bouche et tu faisais ton entrée dans ce monde.
La renaissance dont je parle a eu lieu progressivement, à ton contact. Tout ne s’est pas déroulé à cet instant précis où tu es née, loin de là. Il y a eu ta naissance certes, ce point de départ, puis la suite, et cette suite nous y sommes encore. Ta naissance a eu un effet big-bang sur ma personnalité. Moi, à qui tout était dû, qui ai toujours eu tout ce que je voulais, à coups de caprices, pleurant lorsqu’un cadeau n’était pas à la hauteur de mes attentes, même adulte. Moi, qui ait toujours vécu dans le besoin d’approbation et de reconnaissance des autres. Tu es née et toute once d’égoïsme a quitté mon corps: il n’y avait plus que toi. Plus rien n’avait d’importance, à commencer par les autres. J’ai compris que ma place sur terre était celle d’être ta mère. Quoi de plus naturel et de plus évident ? Et pourtant. Jamais je n’aurais pensé me réaliser en tant que personne en te donnant la vie.
Puis, il y a eu notre histoire d’allaitement… Cet allaitement catastrophique, douloureux, traumatisant. Je l’ai vécu comme une des épreuves les plus difficiles de ma vie jusque-là. Ces douleurs, ce challenge quotidien contre moi-même. Rester motivée lorsque tout nous poussait à lâcher. Mère-nature, merci, tu es bien faite et je ne garde pas de séquelles de cette épreuve. Ensemble nous nous en sommes sortis, toi, ton père et moi. Et aux yeux des autres, notre scénario était plutôt classique : une jolie petite fille bien portante, allaitée, un maman en congé maternité, un papa de retour au travail. Le cadre familial classique.
Et la vie a continué.
J’ai repris le travail et le cadre familial classique a continué lui aussi : la jolie petite fille bien portante a commencé à être gardée en garde-partagée avec une auxiliaire parentale, maman et papa au travail, rythme de course quotidien, maman a continué d’allaiter en tirant au travail la journée. Quelle héroïne, quel courage ! Entendais-je tout autour de moi. Et je ne voyais pas pourquoi était-il question de courage, d’héroïsme. Je nourrissais mon enfant avec ce que la nature m’avait donné pour le nourrir, mais aussi le soigner, le calmer et l’endormir.
Puis, ont commencé les questions incessantes : fait-elle ses nuits ? tu l’allaites encore ? tu comptes l’allaiter combien de temps encore ? elle dort avec vous ? elle mange autre chose que juste ton lait ? Mais elle a des dents ?
Et les avis que l’on a jamais demandé : elle se réveille la nuit parce que tu l’allaites encore; tu sais l’allaiter au début c’était bien, maintenant il faut arrêter, ça ne sert plus à rien/c’est pervers/tu vas en faire un enfant capricieux/tu vas lui donner de mauvaises habitudes; vous devez impérativement lui faire regagner son lit; un enfant de son âge (8 mois) ne doit surtout pas dormir dans votre lit; comment faites-vous l’amour?/pour vous retrouver/pour votre intimité; penses à ton mari, le pauvre; tu es esclave de ton enfant/elle te mène par le bout du nez; tu devrais mettre des céréales dans son lait le soir, ça va lui permettre de mieux dormir; elle ne devrait pas se coucher aussi tard; vous allez la rendre complètement dépendante de vous; tu lui fourres ton sein dans la bouche toutes les cinq minutes; tu ne vas jamais réussir à la sevrer; elle va avoir de grosses difficultés à se sociabiliser plus tard; elle vas être très capricieuse et caractérielle; vous devriez partir en weekend et la laisser chez les grand-parents pour qu’elle apprenne à dormir; elle doit apprendre à s’endormir seule; et autres pépites.
Et c’est comme ça que ma colère n’a fait que s’amplifier.
Moi qui n’ai jamais jugé personne devant ses choix, je me suis mise en colère contre toutes ces personnes qui osaient se mêler de mes choix, qui osaient questionner ce que moi, sa mère, je faisais comme choix pour mon enfant. On parle constamment des mamans qui n’allaitent pas en mettant en avant la culpabilité qu’on peut leur faire ressentir vis-à-vis de ce choix, mais on ne parle pas suffisamment des remarques incessantes que peuvent recevoir celles qui font le choix inverse. Et c’est plus que pénible de devoir se justifier quel que soit notre choix. Il faut le dire, une mère qui allaite son enfant plus de 6 mois est très souvent victime de harcèlement qui l’oblige à se justifier sans-cesse. Et plus la durée de l’allaitement augmente, plus les situations de justification augmentent elles aussi jusqu’à ce que l’entourage ne se lasse.
Et c’est ensuite un cercle vicieux : la mère harcelée se défend et se justifie en prônant que son choix est ce qu’il y a de mieux pour son enfant (c’est en effet le choix naturel, n’en déplaise à qui que ce soit) culpabilisant à son tour par son discours la mère non-allaitante. Et la culpabilité de la non-allaitante entraîne à son tour le harcèlement de l’autre, qui entraîne lui-même, de par son mécanisme de défense, la culpabilité de la première de nouveau, et ainsi de suite.
Je fais partie de ces mères harcelées et en colère de devoir se justifier non stop. Et il m’a fallu pour réussir à surmonter ces critiques et remarques m’armer à mon tour en me documentant et en m’informant.
Cette démarche a calmé ma colère. Et si toutes les mères, allaitantes ou non, faisaient de même, si les mères arrêtaient de prendre pour argent comptant la parole des lobbies, si elles s’informaient, se documentaient, alors leur choix, quel qu’il soit, allaitement ou pas, ne pourrait plus prétendre à la culpabilité ni à la justification incessante. Celle qui allaite saurait pourquoi elle le fait, et celle qui n’allaite pas saurait pourquoi elle ne le fait pas en assumant son choix mais en ne niant pas le rôle unique de l’allaitement et invoquant la culpabilité à tout bout de champ obligeant l’autre à se justifier sans cesse. Ce serait la fin du cercle vicieux qui gangrène le cercle des jeunes mamans.
Bref, je rêve d’un monde où tout le monde serait informé et ferait des choix éclairés.
Aujourd’hui, je ne suis plus en colère. Je vis pour ma famille et son bonheur et c’est tout.
Bonjour,
Je trouve votre article fait tellement écho où j’en suis ! J’en suis à la phase colère, mon compagnon lui est au stade « je m’en fous de ce qu’ils disent ».
Merci d’avoir mis des mots sur ce rêve fou de bienveillance au quel j’aspire aussi
J’aimeJ’aime